Dans son numéro 2434, l’hebdo télé "Télé 7 jours" propose une interview de Sophie Vouzelaud, première dauphine de Miss France et malentendante. Voici l’interview complète et un résumé des encadrés des 3 pages consacrées au sujet.
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L’interview
Comment votre titre de 1re dauphine a-t-il été accueilli parmi les sourds ?
Ils se sentent fiers et comptent sur mon titre pour améliorer leur vie au quotidien. Les sourds veulent avoir les mêmes droits que les autres, en matière d’accessibilité à la culture, notamment la télé et le cinéma. C’est ce que j’ai « signé » à six reprises aux téléspectateurs le soir de l’élection, mais la jeune femme qui faisait office d’interprète - une salariée du Futuroscope - a paniqué et n’a pas réussi à traduire mes propos. Les sourds de France étaient furieux, pas après elle, la pauvre n’y est pour rien, mais après TF1 et la production qui n’ont même pas engagé une véritable interprète.
D’autant que la prod avait choisi de ne pas vous faire parler pour des raisons « techniques »...
Je ne comprends pas pourquoi... J’étais tellement révoltée d’être réduite au silence que j’avais envie de hurler. Finalement, cette histoire m’a servi puisque je me suis emparée du micro pour montrer que j’étais capable de parler. Je suis sourde, pas muette ! À cet instant, les votes des téléspectateurs en ma faveur ont - paraît-il - explosé !
En quoi la télé n’est-elle pas faite pour les sourds ?
Malgré la loi du 11 février 2005 (NDLR : qui vise à assurer l’accès des personnes handicapées aux droits reconnus à tous les citoyens), trop d’émissions restent inaccessibles aux sourds et malentendants. Nos choix de programmes sont vraiment restreints. Nous sommes les oubliés du PAF.
Que souhaitez-vous ?
Que les chaînes n’attendent pas 2010 pour sous-titrer leurs programmes, car nous commençons à nous impatienter ! Et puis que tous les journaux d’information soient à la fois sous-titrés et traduits en langue des signes pour une compréhension à 100 %. Les sous-titrages seuls ne sont pas toujours très clairs, car souvent bâclés.
La démarche coûte très cher...
Peut-être, mais les chaînes doivent comprendre que l’accessibilité à la culture et à l’info pour tous est plus importante que l’argent ! Surtout en cette période de campagne électorale. Nous sommes des citoyens comme les autres et nous voudrions pouvoir suivre les débats télévisés. Savez-vous que beaucoup de sourds votent pour le candidat qu’ils comprennent ? Certains voteront Sarkozy parce que ses discours sont souvent sous-titrés, d’autres Le Pen parce qu’il articule bien.
Et le cinéma ?
Dans les grandes villes, nous ne pouvons regarder que les films étrangers en version sous-titrée. À Limoges, on est obligé d’attendre la sortie en DVD. Par conséquent, nous sommes toujours en retard sur les autres, et ça me rend malade ! De plus, les DVD français n’ont souvent pas de sous-titrage. Du coup, il y a beaucoup de films que les sourds n’ont pas le droit de voir.
Vous avez la chance de lire sur les lèvres et d’oraliser. Comment avez-vous appris à communiquer avec les entendants ?
Quand maman a su que j’étais sourde, elle a rejeté la langue des signes. Elle voulait à tout prix que je parle. Ma famille et moi avons donc appris le LPC (Langage parlé complété) avec Valérie, mon orthophoniste. Mes parents ont alors estimé que mon élocution était suffisamment claire pour que je poursuive une scolarité normale. Je ne comprenais pas toujours tout. J’avais, en plus, 3 à 4 heures de soutien par semaine avec un professeur spécialisé. C’était très difficile et fatigant. Surtout au lycée. Après avoir encaissé les réflexions discriminatoires de mon prof de comptabilité, j’ai décidé de passer mon bac professionnel par correspondance.
Comment voyez-vous l’avenir ?
J’aimerais devenir mannequin !
Depuis un an et demi, vous avez un petit ami, Davy, prof de langue des signes. Vous voyez-vous mère un jour ?
Bien sûr, mais pas maintenant.
Et si votre enfant naît sourd ?
Aucun problème. Du moment qu’il est heureux !
Précision de medias-soustitres.com : nous nous permettons de publier ici l’interview complète celle-ci étant disponible sur le site de Télé 7 jours.
La réponse des chaînes
– France 2 : "nous souhaitons diversifier au maximum les émissions sous-titrées afin que chacun puisse trouver des programmes qui lui correspondent".
– TF1 : "en 2001, nous avons mis en place une méthode de sous-titrage. La technique était assez satisfaisante, mais nous avions du mal à sous-titrer convenablement les actualités de dernière minute. Alors nous avons préféré reporter le projet" (Eric Jaouen, directeur de la diffusion chez TF1)
– M6 : "nous n’avons ni les moyens de TF1, ni l’aide gouvernementale de France Télévisions, mais nous faisons de notre mieux. Conformément à la demande du gouvernement et du CSA, nous sous-titrerons la plupart de nos programmes d’ici à 2010".
L’exemple américain
Aux Etats-Unis, la loi sur le sous-titrage date de 1990. Aujourd’hui presque tout est sous-titré et les chaînes sponsorisent même les sous-titres. En Europe, la BBC (service public anglais) sous-titre 95% de ses programmes "avec une qualité proche de la perfection" d’après Jérémie Boroy, président de l’Unisda.
Télévision pour tous : objectif 2010
2 ans après l’adoption de la loi qui fait que d’ici 2010, tous les programmes devront être accessibles, où on est-on ? Jérémie Boroy dresse un bilan contrasté : "si les chaînes ont fait des efforts, on sent qu’elles vivent cette loi comme une contrainte et qu’elles manquent d’enthousiasme". "Seuls 30% des programmes sont sous-titrés". France Télévisions sous-titre la moitié de ses grilles dont le 13h et le 20h alors que M6 ne sous-titre que 10%, principalement des séries américaines. "C’est encore peu. Mais quand M6 a commencé le sous-titrage, nous avons eu l’impression de découvrir une nouvelle chaîne". TF1 et ses 30% de sous-titrage est frileuse. Le journal n’est pas sous-titré car la chaîne ne met pas les moyens pour faire mieux que France 2. "En période électorale, ce manque d’infos se fait cruellement ressentir. Nous sommes des électeurs et nos votes seront comptabilisés comme les autres. Mais, pour le moment, nous ne pouvons pas suivre les débats politiques".
Chaîne sous-titrée : la tentative ratée
En novembre 2001, TVST "la télévision sous-titrée" est lancée sur le câble avec un budget de 2,3 millions d’euros. Mais au bout de 4 mois, la chaîne disparait. Inévitable pour Jérémie Boroy. "La programmes diffusés sur TVST étaient des rediffusions de ce qu’on avait pu voir sur le hertzien plusieurs semaines auparavant". Inconcevable dans le cadre d’une offre payante.
Quelques repères
– entre 5 et 6 millions de sourds en France (dont moins de la moitié sourds de naissance) d’après le ministère de la santé
– pour sous-titrer la totalité de ses programmes, chaque chaîne devra dépenser 7,2 millions d’euros par an
– la minute de sous-titrage coûte 15 euros environ
– il faut 25 heures pour sous-titrer une heure de programmes
– pour accéder au sous-titrage, appuyez sur la touche télétexte puis entrez 888
Dossier réalisé par Julien Lamury (encadrés) et Audrey Mouge (interview) pour Télé 7 jours numéro 2434.
Toujours en ligne :
– Le résumé de l’article de Tv Hebdo : « La télé n’est pas faite pour les sourds »